C’est douloureux, c’est très douloureux. Cela l’a été pour moi plus que pour tout autre concerné.
Non seulement j’ai moi-même vécu l’histoire de la chambre placard (peut-être que d’autres aussi, qui sait, sinon eux-mêmes?) mais j’ai subi également les foudres d’une autre famille sans aucune possibilité de réponse ou d’argumentation, et avec la complicité de toutes les autres plus ou moins concernées.
En fait, c’est incroyable de folie.
Cela fait quelques années que l’idée de relater cette histoire de fous me trotte dans la tête, parce qu’il semblerait que j’en sois quasiment l’unique dépositaire, face au silence pédagogié (lire Alice Miller pour tenter de comprendre ce néologisme) de tout mon entourage dit amical d’alors.
Oh, on les a ici dépictés, encore que pas tous. Seul une personne, une seule, a répondu sincèrement à mes envois d’alors.
Tous les autres, pour de multiples raisons probablement, s’y sont refusés. Il faut que ce soit dit, dans l’hypothétique version où un quelconque inutile succès viendrait me barrer la route du silence.
C’était donc un jour de fin novembre 1990 ou 1989, les souvenirs sont confus mais c’était autour du baccalauréat de cette bande de copains, plutôt que d’amis, qui jouait de la musique punk psychédélique avec ferveur.
Pas grand chose à faire dans une ville pourtant vaste mais défaite par la politique d’absence culturelle de la droite de robert poujade pendant des années. Dijon.
Probablement de graves troubles familiaux et psychologiques, évidemment inconsciemment partagés dans cette bande. Tu m’étonnes.
Alors, avec le N. L., on s’enfile un micron. Le micron, c’est du LSD qui a l’apparence exacte d’une pierre à briquet, d’un bout de mine de crayon.
C’est extra puissant, ultra dosé, limite flippant, mais bon, c’est comme ça. On descend en ville, ça monte. On roule dans une guimbarde de tôle merdique mais qui nous sustente. Un tour au bar de nos habitudes, l’Iceberg. Fermé, je crois. On rencontre quand même quelques personnes dont une fille un peu trop extravertie et contente qu’on se rencontre et qui surprend ce pauvre N. en lui criant “hey salut!”. Il dira par la suite qu’il a été terrorisé par cet événement.
Il flippe sa race. Incompréhensible sauf à connaître l’effet du LSD sur certaines âmes défaillantes et traumatisées de long.
Pour ma part, j’attends quelque chose, mais rien ne vient vraiment, je suis depuis si longtemps habitué à la dissociation que ce type de drogue n’a pas vraiment d’effet sur moi, quelle que soit la dose et la puissance de la chimie. Il s’agit bien plus de sensations que d’hallucinations ou autres choses extraordinaires que la plupart des “normaux” relatent dans leurs expériences psychédéliques de petits bourgeois.
Bon, il faut se rendre à l’évidence, ce soir-là, il n’y avait rien à faire, la pédagogie noire nous interdisait même d’improviser une quelconque partie sexuelle façon hippie. Le temps froid aussi, et le cruel manque de sexe opposé, c’est pas négligeable. 🙂
Alors quoi faire, je ne sais plus, on rentre. J’héberge dans la maison familiale N. qui préfère cela à rentrer chez lui. On va tenter de dormir malgré l’effet puissant du produit. Lui, dans l’antichambre du placard -devenue chambre d’amis…- et moi, toujours dans ce placard. Il ne se sent pas bien, je le rejoins au lit, mais sa demande d’amour infantile ne peut trouver écho chez moi. Même s’il s’agissait là seulement d’un besoin de réconfort physique, cela ne me plaît pas. Nous sommes trop loin l’un de l’autre, psychiquement, socialement, pour que je puisse servir de guide. C’est pourtant le rôle qu’il m’aurait fallu jouer à ce moment-là.
Je retourne dormir, et moi, je dors. Lui probablement pas, cauchemardant jusqu’au lever du jour.
Pas de bol, malgré mes encouragements et mes questionnements pour savoir si tout va bien, il rentre dans sa maison familiale.
Mais là, surprise d’anniversaire ou de je ne sais quoi, un panel de gens bien intentionnés l’attend et au lieu d’aller tranquillement se reposer, digérer cette nuit difficile, il est contraint de faire face à la bienséance des stupidités familiales pour des occasions factices.
Cela n’ira tellement pas qu’au bout d’un moment il deviendra “fou”. Le bad trip explose. Plus moyen de suivre les cours, d’envisager le bac, plus que la peur au ventre et dans la tête. Une seule personne sera autorisée à le voir parmi la bande de copains, la moins qualifiée et surtout la plus opportuniste.
A partir de ce moment-là, aucune nouvelle sinon que la famille entière, à qui N. raconte sa prise de LSD de façon coupable (mon dieu, la bourgeoisie de province ne s’attend pas à cela) me met sur le dos la faute entière de son bad trip…
Il est bien connu que le fournisseur est responsable des actes du consommateur.
Comme si j’avais été le bourreau nazi d’un pauvre juif homosexuel tzigane des camps à qui j’aurais injecté un produit de force… la comparaison est tout à fait appropriée, mais c’est privé, et c’est surtout comme cela que je l’ai ressenti.
Disons plutôt: comme si johnny halliday devait au cartel de Medellín se s’être fait refaire la cloison nasale chirurgicalement pour abus de cocaïne.
Bien sûr, personne ne moufte. Sympas, les potes. Et moi j’encaisse ça, en plus de tout le reste bien sûr, dans la peur et la culpabilité qu’occasionne l’injustice des silences commodes.
Je ne suis pas sûr qu’ils sachent ou veuillent même savoir, encore aujourd’hui, pourquoi ils ont agi de la sorte plutôt que d’une autre, pourquoi ils ont tous choisi la facilité tels des collabos de leurs propres bourreaux. Marrant. Triste surtout.
Alors aujourd’hui je comprends mieux que tous ceux-là qui se sont soumis docilement à la pédagogie noire (on ne peut guère faire autrement lorsque l’on est dépendant et faible) aient fondé une famille avec maison, boulot, enfants et toute la panoplie des innocents qui reversent sur plus faible leur propre histoire non digérée.
Parce que c’est bien les descendants qui accusent le coup et payent les erreurs de leurs parents dans une perverse passation névrotique sans fin. Espérons que non, sans se faire trop d’illusions.