“C’est qu’en effet, « il est contradictoire, logiquement et réellement, d’être une partie du corps de la mère et d’exister comme un être indépendant, entier. On ne peut pas faire partie du corps maternel, et, subitement, exister seul dans un monde fragmentaire. » (Pankow, 1981, p. 234). L’enfant qui devient schizophrène se trouve confronté à une situation décrite par G. Bateson comme « double bind », un « monde sans issue », où le rapport de la mère à l’enfant se trouve décliné à la fois, et contradictoirement, sur le mode de l’approche et du rejet. Formulée dans la perspective de la dialectique de l’image du corps, cette « double entrave » (traduction que G. Pankow préfère à celle, traditionnelle, de « double lien ») prend la figure d’injonctions parentales de nature contradictoire : « tant que l’enfant est vécu comme partie du corps de sa mère, et par ce fait est soumis au désir et à la parole de sa mère, celle-ci est gentille et contente. Malgré cela, elle repousse l’enfant pour ne pas montrer qu’elle a besoin de cette symbiose. A la suite de ce rejet, si l’enfant essaye de se libérer pour mener seul, dans ses limites à lui, une existence fondée sur une identité qui soit la sienne, la mère intervient pour récupérer « cette partie d’elle-même » qu’elle est en train de perdre. Tant que l’enfant aide la mère à se sécuriser, tout va bien. Dès que l’enfant cherche à devenir objet du désir de sa mère – ou de tout autre personne -, tout se gâte, car la mère n’a pas tout à fait acquis son identité et, en conséquence, elle comble les failles de son corps par son enfant ; elle est incapable de laisser se développer un désir libre. » (Pankow, 1981, p. 234)
C’est pourquoi l’interprétation psychanalytique insiste sur l’enracinement de la psychose dans les tout premiers âges de la vie, voire sur ce qui, avant même la naissance de l’enfant, ressortit au désir parental. Dans de nombreux cas, on peut penser que le rejet par la mère de tout investissement procréateur a joué un rôle (par ailleurs difficile à quantifier) dans le surgissement du scénario psychotique. Un facteur essentiel peut induire le destin schizophrénique : « celui dont la naissance aurait dû normalement témoigner de la réalisation d’un vœu ne rencontre aucun souhait le concernant en tant qu’être singulier. Le sujet vient naître dans un milieu psychique ambiant dans lequel son désir, qui se constitue très précocement comme désir d’être désiré, ne peut trouver de réponse satisfaisante : ou bien aucun enfant n’a été désiré, ou bien si un « enfant » l’a été, le désir maternel se refuse à investir ce qui dans cet enfant parle de son origine, et viendrait prouver qu’il est l’origine d’une nouvelle vie. » (Castoriadis-Aulagnier, 1975, p. 234). C’est bien pour lui-même que l’enfant veut être désiré, aimé et reconnu, en tant qu’être singulier, et non comme jouant une fonction de suppléance, ou de remplacement, d’un autre enfant, réel ou fantasmé par la mère.”
in: Fontaine, P. (2014). La psychose et les frontières de la folie. Recherche en soins infirmiers, 117(2), 8-20. https://doi.org/10.3917/rsi.117.0008.
https://stm.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2014-2-page-8?lang=fr